Vu de la rue, l’édifice beige trapu situé près du West Toronto Railpath ressemble à l’un des nombreux garages automobiles ou entrepôts qu’on trouve en abondance dans le secteur. Mais jetez un coup d’œil à l’intérieur et vous serez transporté directement à Muscle Beach, en Californie.
Des imprimés kaléidoscopiques et des palmiers en néon tapissent les murs du petit studio, alors que des poids et haltères, des tapis roulants et des tapis d’exercice recouvrent le sol. Bien sûr, le décor peut sembler éclectique, mais il est adapté à la clientèle de l’endroit. Dans ce studio se côtoient aussi bien des artistes contemporains qui travaillent sur un projet commun que des marathoniens qui s’entraînent pour leur prochaine course.
Celui qui gère ce studio et qui unit ces sous-cultures disparates, c’est Jepoy Garcia – alias « Mango Peeler » –, un artiste et marathonien dont les superbes collages, photographies et impressions d’écran ont rallié des admirateurs aussi variés que Drake et Anthony Bourdain. Il est aussi un grand amateur de voitures et le sujet de Driving Creativity, un projet dans le cadre duquel il a discuté de sa vision créative avec l’artiste numérique Eli Schwanz à bord d’une Toyota Corolla iM.
Garcia portait des vêtements d’entraînement lorsque nous l’avons rencontré dans son studio/gym par un mardi après-midi chaud et humide. Il arrivait au pas de course (littéralement) de son emploi à temps partiel dans une imprimerie de North York qui, selon Google Maps, se trouve à 90 minutes à pied. Mais parcourir cette distance n’est pas un problème pour un homme qui a récemment couru 91 kilomètres dans le désert sans dormir.
Après avoir repris son souffle, Garcia nous a parlé de sa passion pour la collaboration, de son amour de la conduite et de la façon dont le mouvement peut servir de point de départ à l’art et à la créativité.
Votre passion pour la course semble influencer profondément votre travail artistique. Comment décririez-vous cette relation?
L’art est tellement naturel pour moi. C’est ma passion. Et c’est comme le prolongement de mon corps. La course me fournit vraiment la discipline nécessaire pour alimenter mon travail créatif. La structure et la routine liées à cette activité s’inscrivent en opposition au monde abstrait et asymétrique de mon art. Les deux se nourrissent mutuellement.
Vous combinez donc maintenant ces deux passions dans ce studio. Qu’est-ce que cela signifie pour vous?
Il y a l’aspect course, bien sûr, mais aussi l’élément artistique qui le propulse dans un autre monde. Les gens qui viennent ici, nous voyons tous ces activités de façon différente. Nous leur donnons une touche de modernisme et de nouveauté, tout en respectant leur histoire. C’est ce qui maintient mon enthousiasme. Connaître l’histoire, remonter à la source, et décortiquer. Il s’agit de montrer aux gens quelque chose de différent, et d’avoir la confiance nécessaire pour bien le faire.
Comment savez-vous si vous avez réussi à créer quelque chose d’unique?
La beauté se trouve dans le processus de création. Lorsqu’une œuvre d’art est terminée, je m’en fiche déjà un peu à cette étape. La beauté du travail réside dans le processus, lorsqu’il n’est pas entièrement développé. J’aime les œuvres non terminées de la même façon que j’aime l’entraînement, parce que lorsqu’on se prépare pour le marathon ou la course, on est au cœur de la chose. C’est là qu’il y le sang, la sueur et les larmes. La course elle-même ou l’exposition dans la galerie, c’est une simple célébration. Mais personne ne voit ce qui se passe dans les coulisses avant d’arriver au grand moment.
Pour moi, c’est ça le bonheur. Être totalement présent dans le moment, atteindre un état de fluidité. Et je peux y arriver tous les jours grâce à la course et grâce à mon art. Si je ne vais pas courir, ou si je ne crée pas, je ne suis pas très agréable à côtoyer. Je n’aime pas vivre dans un état de « ce qui aurait pu être ». C’est de là que vient mon sentiment d’urgence.
C’est curieux, votre philosophie créative semble tellement basée sur le mouvement humain. Comment expliquez-vous votre relation avec les voitures?
J’ai un faible pour les voitures. Pour une raison que j’ignore, je finis toujours par avoir des studios dans des garages. Mais aussi, je trouve simplement que les voitures sont sexy. Et je viens de Mississauga. Pour sortir de cette ville, il faut une voiture. Mes amis et moi allions souvent faire une balade tard le soir avec de la bonne musique.
Je suis aussi inspiré par la vitesse des voitures. Recevoir de telles informations visuelles, ça ressemble beaucoup à la course. C’est flou, il y a ce mouvement de couleur et d’énergie, au lieu de simplement marcher, d’être un piéton. C’est comme ma relation avec la peinture. Je ne suis pas très amateur de natures mortes. J’aime le travail gestuel, les choses qui impliquent les mouvements du corps, de tout mon corps, une action complète.
Vous savez, il y a une Toyota Corolla 1973 appelée « Mango ». Elle est tellement belle. J’aimerais tellement me promener à Venice Beach au volant de cette voiture.
Comment avez-vous trouvé le tournage de Driving Creativity?
C’était génial. Ce n’est pas tous les jours qu’on a l’occasion de fermer le Lakeshore Boulevard pour se promener en voiture. Il y avait tout cet incroyable équipement, ces caméras, autour de moi et j’ai même eu droit à une escorte policière.
Je parlais à l’équipe avec mon émetteur-récepteur portatif, alors j’étais comme à la fois cascadeur et un modèle posant avec la voiture. Je n’avais jamais fait ça auparavant, ce qui est toujours agréable. Je me sentais comme un pilote de course, même si nous roulions plutôt lentement.
Et comment avez-vous trouvé la voiture?
Oh là là, si la Corolla iM avait été orange, j’aurais sans aucun doute demandé : « Est-ce que je peux la garder? Est-ce que je peux simplement partir avec maintenant? » Je l’imaginais : je pourrais totalement vivre dans cette voiture, avoir mon équipement de course et me promener d’un camp d’entraînement à un autre. De nos jours, surtout si on vit en ville, c’est génial d’avoir accès à une voiture. Souvent, on est saisi par l’envie de partir. En tant que personne à la fois créative et aventurière, je me disais : « Je pourrais quitter ce tournage et partir camper. » Vraiment, on est libre si on a une voiture. Et si j’avais cette voiture, j’irais partout.